Tsouin-Tsouin et le neuromarketing


La fable que vous pourrez lire ci-après ne vous est pas proposée innocemment. Bien que racontée sous une forme humoristique, elle constitue au contraire une mise en garde contre une nouvelle discipline, le Neuromarketing, qui vous sera présentée à la fin de cette fable.

Q U I   N ’ A   P A  S   S O N   T S O U I N – T S O U I N  ?

L’affaire dont nous allons parler se manifesta pour la première fois un jour d’automne, alors que le soleil jetait un coup d’œil admiratif sur les feuilles pourpres et dorées des forêts, et décidait d’envoyer encore quelques bons rayons de lumière chaude afin de témoigner de sa bonne humeur.

Monsieur Ventou, commerçant dans une grande artère de la capitale, venait  à peine d’ouvrir sa boutique lorsqu’un homme d’allure tout à fait normale se précipita vers lui, le souffle court, et bégaya :

– Je voudrais du Tsouin-Tsouin.

– Du quoi ? fit M. Ventou.

– Du Tsouin-Tsouin, bien sûr.

– Vous allez bien, Monsieur ? se permit d’interroger  M. Ventou, persuadé qu’il avait affaire à l’un de ces cadres supérieurs super-stressés que leurs employeurs pressaient comme des citrons pour leur faire cracher leur jus et les rejeter par la suite.

– Vous n’allez pas me dire que vous ne vendez pas de Tsouin-Tsouin, protesta l’homme.

– Hélas, je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Furieux, le client quitta la boutique et se rendit, sous les yeux écarquillés de M. Ventou, dans le magasin voisin, tenu par Monsieur Venrien qui, en général, n’a pas grand-chose en stock. Encore plus médusé, il vit l’homme ressortir de chez M. Venrien deux minutes plus tard, tout sourire, pressant contre sa poitrine une boîte à laquelle il semblait tenir comme à la prunelle de ses yeux.

– Ça alors ! s’exclama M. Ventou, interloqué !

Bondissant sur son téléphone, il appela Manou, son épouse.

– Manou, tu ne sais pas ? Un client vient de me demander du Tsouin-Tsouin… Je ne sais même pas ce que c’est. Eh bien, figure-toi qu’il en a trouvé chez Venrien.

La réponse de sa femme devait contribuer à accroître sa déstabilisation.

– Mais comment, mon chéri, tu ne vends pas de Tsouin-Tsouin ? Tu m’étonnes.

Commençant à sentir la panique s’emparer de lui, M. Ventou chercha une chaise pour s’asseoir, tout en conservant le téléphone collé à son oreille droite. Et ce qu’il entendit faillit l’achever.

– Justement, poursuivait Manou, je voulais te demander de m’en rapporter une boîte.

Charles Ventou prit un journal qu’il agita pour s’éventer, sentant ses joues rougir et la température monter.

– Mais ma chérie, réussit-il à implorer après quelques secondes de silence, c’est quoi, le Tsouin-Tsouin ?

– Ah, ça, je n’en sais rien !

Totalement abattu, Charles Ventou tomba de sa chaise, renversant involontairement une horloge ancienne qui trônait sur son comptoir de brocanteur. Ce fut sa chance. Le tintamarre de la chute alerta Jules Venrien qui fit irruption dans le magasin et, voyant son voisin en triste état, appela les pompiers.

Charles Ventou reprit ses esprits au moment où ceux-ci, qui l’avaient installé sur un brancard, quittaient sa boutique, et il en entendit un dire à ses collègues : « Vous croyez qu’on trouve du Tsouin-Tsouin dans ce genre de magasin ? » Charles Ventou jugea plus prudent de s’évanouir à nouveau.

Le soir, revenu des urgences où Manou était allée le chercher, il s’assit devant la télévision, complètement défait.

– Pourquoi voulais-tu du Tsouin-Tsouin, finit-il par demander à son épouse ?

Pas de réponse autre qu’un haussement d’épaules.

– Mais ça sert à quoi ? insista-t-il ?

La réponse le stupéfia : « Tsouin-Tsouin ? C’est un produit qui ne sert à rien. »

Charles Ventou faillit demander à retourner aux Urgences !

Quelques minutes plus tard, reprenant courage et jetant un coup d’œil sur la télévision, il fut frappé par une publicité qu’il voyait pour la première fois.

– Tiens, regarde, tu vas apprendre quelque chose, l’avisa son épouse.

M. Ventou, pour qui ce jour était vraiment très différent des autres, découvrit une pub très forte, dont pourtant il serait incapable de raconter le déroulement. La seule chose dont il devait se souvenir, c’est que cette publicité parlait justement, tenez-vous bien, du Tsouin-Tsouin ! Mais l’utilisation de ce produit ne lui apparut pas clairement.

Manou, à qui il demanda une seconde fois à quoi servait ce truc bizarre, écarta les bras en signe d’ignorance.

– Mais enfin, ma Manou, implora Charles Ventou dont le regard traduisait un désarroi total, tu m’as demandé de t’en rapporter, tu dois bien savoir à quoi ça sert.

Le regardant en fronçant les sourcils, Manou fit cette réponse qui devait achever de transformer la matière grise de son mari en éponge : « Tsouin-Tsouin, le produit qui ne sert à rien. »

Abattu, hagard, Charles se tourna de nouveau devant la télévision, et assista au JT de 20h00.

Le Journal s’ouvrait sur un phénomène que Charles n’était même plus en état de comprendre : une manifestation monstre (on parlait de près de 100.000 personnes) avait provoqué des embouteillages colossaux dans tout Paris.

– Les Parisiens, commentait le journaliste, ont été nombreux à protester contre l’absence de Tsouin-Tsouin dans les magasins de la capitale.

Suivit un reportage sur les manifestants qui se massaient place de la Concorde, ne pouvant pénétrer dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale que protégeaient des cordons de CRS appelés d’urgence.

Ils scandaient dans le plus grand désordre : « On-veut-du Tsouin-Tsouin, On-veut-du Tsouin-Tsouin. »

Le journaliste informa les téléspectateurs qu’une diva dont nous tairons le nom par discrétion, s’était interrompue, la veille au soir, en plein Tannhäuser, pour s’écrier sur un air très connu : « Donnez-moi mon Tsouin-Tsouin, j’en ai archi besoin. » Et, ajouta le journaliste, la salle de l’Opéra Bastille s’était levée pour reprendre en cœur : « Donnez-moi mon Tsouin-Tsouin, j’en ai archi besoin. »

– Enfin bref, conclut le journaliste, depuis le lancement de cette nouvelle marque, c’est du délire, tout le monde en veut, bien que l’on ne sache pas très précisément à quoi sert ce produit.

Dans les semaines qui suivirent, des industriels déloyaux analysèrent le produit afin de fabriquer des contrefaçons. Ils ne parvinrent pas à trouver les caractéristiques du Tsouin-Tsouin liquide qui était incolore, inodore et sans saveur, et dont le fabricant annonçait pour bientôt une version en poudre qui allait faire des ravages, pour citer ses propres mots.

Les deux images ci-dessous présentent une cliente examinant sa boîte de Tsouin-Tsouin. A gauche, voici ce qu’elle pense lire sur la boîte (Plus souple, plus propre). A droite, voici la boîte qu’elle a achetée, sur laquelle ne figure rien au sujet de la souplesse ou de la propreté.

Tout ça est fou, direz-vous. Je vous l’accorde.

Mais je vous invite à lire l’article suivant sur le Neuromarketing. C’est beaucoup plus sérieux et vous ne serez pas déçus !

© Texte : Jean-Michel Touche

© Illustrations : Jean-Christophe Moreau


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